« Monté par Zoo Galerie et Vidéoz'art, « No foot last night » est un festival vidéo qui prend toute son évidence dans l'actualité de la Coupe du Monde de Football. Du 15 au 20 juin, un ensemble de vidéos contemporaines est présenté sur le mur d'images de la Caisse d'Épargne de la place du Commerce et au café Le Flesselles et, au cours de la première semaine de juillet, sur l'écran géant de la place de la Petite Hollande. [...]
Patrice Joly et Patrice Allain sont les deux programmateurs insolites de ce festival vidéo qui donnera une dimension artistique plutôt comique et caustique à la grand-messe footballistique à laquelle nous assistons actuellement. L'idée est assez géniale : regrouper, sous forme de compilation, une vingtaine de films vidéo tournant autour du ballon rond. Du film de synthèse au film-télé réapproprié et retravaillé, du vidéo-clip à la fiction dérisoire ou onirique, du film d'animation à l'image trafiquée par ordinateur, tous les ingrédients sont présents, constituant une véritable effraction de l'art vidéo dans le monde euphorique du football. [...] Les films sélectionnés proviennent, comme les équipes de foot, de tous les pays du monde (Brésil, Chili, États-Unis, Israël, ...) [...] Souvent courtes, les vidéos sont rythmées, évidemment critiques, parfois spectaculaires, toujours inventives, qui amènent une réflexion amusée, parfois acide, sur l'univers footballistique. À ne rater sous aucun prétexte. »1
« 20h15. Le terre-plein de l'île Gloriette est déjà bleu blanc rouge de monde. S'il on en croit une rumeur tenace, la France est en finale. Les klaxons répondent aux trompettes, les sifflets aux cornets, tumultueuse cacophonie que rythment les Olas. L'écran géant dressé au bout de la place de la Petite Hollande est encore opaque. Les techniciens, les gens du service d'ordre et les "roadies" s'activent dans ce no man's land qui sépare les barrières de protection de l'écran. Le spectacle est dans la foule : public débonnaire, banlieues colorées et middle class en demi-teinte réconciliés l'espace d'une phase finale.
S'allume alors l'écran géant (43m²) qui distille ses premières impressions rétiniennes : une mire multicolore sur laquelle se détachent des termes d'initié nous renvoyant à notre inculture technique. Cette image-là n'est pas destinée à rester quand bien même elle présentait une remarquable qualité picturale (se découpant sur fond de ciel bleu profond), simple hors d'œuvre pixelien, sans gravité. Arrivent maintenant les vraies images, les images officielles de la coupe du monde et leur générique torrentiel annonçant le début de la grande soirée. Les effets spéciaux se succèdent dans une mise en abîme vertigineuse et multiethnique : peuples de la Terre, unissez-vous dans la grande fusion footballistique ! de Benetton donc, nous enchaînons sans accroc avec les grosses pointures de la publicité qui ont monnayé plus que de coutume leur passage à ces heures bénies. La transition se fait dans une absence totale de rupture, tant les images des deux protagonistes (pubistes, mondialistes) semblent émaner d'une même moule cathodique.
Puis, encore le noir et nous voilà à nouveau devant un générique, plus cheap, plus bricolé mais ayant assimilé les codes de ses prédécesseurs avec suffisamment d'habileté pour qu'il puisse exister un doute sur son statut. C'est l'annonce de « No foot last night », sélection de vidéo d'artistes programmée en première partie des matchs de la phase finale du Mondial. Viennent maintenant les films : les artistes se sont réappropriés les stéréotypes des acteurs en les isolant [les arbitres aux sifflements hystériques de Sabdam, la passe ultra répétitive et numériquement parfaite d'Alain Declercq (interlude), la course effrénée de Ronaldo après les quatre coins de l'écran de Caroline Chomy (intermède)], les détournant, dans leur univers à eux. La dimension étonnamment plastique qui est révélée participe inconsciemment ou non de cette mythologisation du jeu. Le public est un peu médusé, légèrement désorienté, mais jamais complètement indifférent. Les clameurs hésitent puis repartent de plus belle quand apparaît la bande de Jane Halliday dans laquelle les joueurs ont été gommés grâce à un procédé technique : il en résulte une sorte d'affrontement surréaliste entre deux équipes d'hommes invisibles ayant conservé leurs ombres. La vision d'un terrain de foot, bien que vidé de la présence des vedettes suffit à déclencher des réflexes quasi-pavloviens d'enthousiasme populaire.
Générique de fin. Un noir de plus en plus furtif succédant aux pubs traduit cette angoisse des programmateurs devant le vide télévisuel. Ultime scansion ultra courte et signifiant l'imminence de l'événement. Les choses sérieuses vont pouvoir commencer. Place aux idoles du stade, théophanies chancelantes sur lesquelles pèsent la menace de l'oubli. Malheur aux vaincus.
Les artistes auront réussi leur percée, leur dribbling communicationnel, en s'insérant dans le flux chaotique et cathodique, en étant programmé comme accès prime-time de cette grande messe médiatique qu'est la finale de la coupe, révélant au passage les failles de ce dispositif et s'engouffrant tels des Zidane opportunistes dans ces boulevards laissés ouverts par la défense. »2